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Vénus Anadyomène

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Message  Admin Dim 1 Juin - 20:47

Venus Anadyomène, Arthur Rimbaud
Commentaire

Introduction
Les Parnassiens, parmi lesquels Banville, furent les premiers destinataires de premiers poèmes envoyés par la poste le 24 mai 1870, « Par les beaux soirs d’été », « Ophélie » et « Credo in unam… », poèmes largement plagiés de Chénier, Gautier, Virgile et Lucrèce. Mais devant le peu d’intérêt des parnassiens pour le jeune poète de 17 ans, Rimbaud va tourner la poésie parnassienne en dérision, le sarcasme va remplacer le bel élan initial et l propos friser la parodie. A la source de l’inspiration du jeune poète, deux ensemble d’images ont constitué son enseignement scolaire, la mythologie et l’enseignement religieux . ces ensembles sont chargés d’une iconographies qu’il connaît par cœur et qui sont les thèmes favoris des Parnassiens. S’il s’attache donc ds un premier temps à illustrer sagement ses poésies de toute cette iconographies pour suivre les maîtres de l’époque, il va vite s’en détourner pour en livrer sa vision personnelle, l’admiration faisant place au dégoût. Rimbaud manifeste pour le latin, le grec, la mythologie un intérêt et un talent certain qui sera récompensé par de nombreux prix scolaires. Rimbaud s’inspirera ds ses premiers poèmes de cette mythologie et ponctuera ses textes de lyres, de nymphes, de mots grecs et latins (anadyoménè est un mot grec qui signifie « sort de la mer »), tous les symboles de la création artistique parnassienne très en vogue. Rimbaud va jouer avec ses images qu’il connaît si bien. S’il donne de Vénus une image encore conventionnelle ds ses 2 premiers poèmes « Invocation à Vénus » et « Soleil et chair », c’est une toute autre image qui apparaît ds cette « Vénus Anadyomène ». A une Vénus divine des premiers poèmes, belle, qui incarne l’amour et la fécondité, cette Vénus anadyomène a les traits d’une grosse femme laide et malade. Rimbaud révèle ici son impitoyable talent de dérision avec ce pastiche, ce contre blason.
On verra ds un premier temps comment Rimbaud se joue des codes du blason féminin traditionnel et de l’iconographie (tableau de Botticelli), puis ds quelle mesure ce poème se révèle une véritable caricature, parodie comique.

I- Un contre-blason
1) Un blason féminin traditionnel ?
Rappel : le blason est un court poème célébrant une partie du corps de la femme (« Blason du beau tétin » de Marot). Quand il se fait satirique on parle alors de contre-blason (« Blason de laid tétin » de Marot)
-Toutes les parties du corps traditionnellement célébrées sont évoquées ici par le poète : la tête et les cheveux : « une tête » vers 1, « cheveux bruns » vers2, « puis le col » vers 5, « les larges omoplates » v5, « le dos court » v6, « l’échine » vers9, « les reins » v12, « croupe » v13. Mais l’éloge de la beauté est ici renversé puisque les adjectifs associés sont dévalorisants : « col gras et gris » vers 5, « larges omoplates »vers 5, « les rondeurs des reins » v7, « large croupe »v13 qui évoquent une femme grosse ; enfin « l’échine est un peu rouge » vers 9.

2) Une construction du poème en mouvement qui mime « la sortie des eaux »
La construction du sonnet est dynamique et suit les mouvements de Vénus sortant des eaux : celle du peintre Botticelli est pleine de grâce, celle de Rimbaud est marquée par une lenteur qui ne doit rien à la grâce mais plutôt à la « graisse » et à la lourdeur, associée à la « bêtise ». En effet, les verbes de mouvements, nombreux, suivent cette sortie de baignoire : « émerge » apparaît au vers 3 seulement, après une longue antéposition d’une comparaison « Comme d’un cercueil vert… » vers1, du groupe nominal allongé par une expansion du nom « une tête de femme … ». De plus la position en rejet interne du verbe et la virgule qui lui suit marquent une pause qui met en valeur ce gros plan grotesque sur la tête sortant de l’eau. L’adverbe de temps « puis » en début de strophe 2 indique un semblant d’action, et l’énumération des parties du corps émergents se poursuit : « le col gras et gris, les larges omoplates » v5 et le rejet au vers 5-6 de la relative « qui saillent » met en valeur le mouvement brusque et l’horreur de ce détail anatomique peu harmonieux. Le point virgule marque une nouvelle pause et contribue à cette lenteur, à cette lourdeur. La disharmonie de ce corps est marquée par l’absence de lien entre les différentes parties du corps qui semblent atomisées par l’énumération et l’asyndète. « qui saillent ; le dos court ». Le mouvement devient mécanique avec le redoublement du préfixe « re » de la répétition « qui rentre et qui ressort ». L’obésité ralentit le mouvement car la modalisation « semble prendre l’essor » v7 marque l’hésitation du poète voyeur, qui réalise un « zoom » sur la graisse « paraît en feuilles plates », image obscure qui évoque peut-être l’aspect de cellulite. Le premier tercet s’attache également aux détails et opère un gros plan « des singularités qu’il faut voir à la loupe… » v11. Celles-ci sont mises en valeur par le rejet tandis que le suspens est ménagé par les points de suspension qui lie les 2 tercets et ménage la chute. Un nouveau « gros plan » est marqué sur le tatouage rejeté en fin de vers, pis le conjonction « et » relance « l’action » et précipite la chute, vers un mouvement obscène « tend sa large croupe » , une pause provocatrice qui révèle l’horreur suprême : « un ulcère à l’anus ». Le mouvement du poème suit donc strophe par strophe l’émergence de Vénus et parcourt le corps de la tête à l’anus, initiant un parcours poétique peu traditionnel et qui se moque ouvertement des codes du blason traditionnel. Les règles du sonnet sont mises au service de la parodie et du désir de choquer, notamment avec la chute du 2e tercet qui pour le coup, est proprement ( ?) spectaculaire !
Avec l’évocation de cette Vénus disgracieuse, on est bien ici dans la satire, la moquerie, la parodie grotesque.

3) Le pastiche de Botticelli
Tous les éléments du tableau célèbre sont repris par l’attention portée aux détails triviaux du décor : ainsi la conque blanche est remplacée par la baignoire « un cercueil en fer blanc » vers 1crasseuse. La Vénus blond cendré aux cheveux dénoués, naturels du peintre devient une brune aux « cheveux bruns fortement pommadés » par la crasse ou par la mode cosmétique de l’époque. De même, le surgissement magique et glorieux de la « clara vénus » originelle devient une émergence lourde et pataude « lente et bête »v3. Enfin, alors que Botticelli présente sa Vénus de face, dans la fierté de sa nudité glorieuse et assumée, celle du poète se montre de dos « le dos court », « tend sa large croupe » et présente de surcroît un handicape répugnant « un ulcère à l’anus ». Le détail final du tatouage « Clara Vénus » joue sur le clin d’œil parodique et sur les sens du terme latin « clara » à la fois célèbre et « claire, brillante » : le comique vient ici du contraste entre la déesse et la femme laide décrite ici, et sur son aspect crasseux loin d’être « clarus » justement ! Enfin, ce détail ajouté aux indices de pauvreté indique que cette femme est une femme du peuple, voire une prostituée (les femmes du monde ne se font pas tatouer). Le seul point commun résiderait encore dans les « rondeurs » mais dans un cas, elles sont voluptueuses et sensuelles, dans l’autre, la marque d’un laisser-aller et porteuses de cellulite.

II- L’art du pastiche grotesque
1) Un portrait et une situation grotesques
Tous les éléments du grotesque (parler de choses élevées, nobles, de façon triviale, voire vulgaire) sont réunis et exploités à plaisir par le poète qui usera souvent de ce procédé dans les Cahiers de Douai (voir le pastiche de Villon dans sa ballade des pendus). La laideur, la saleté, la trivialité-vulgarité sont évoquées par des détails choquants. La crasse caractérise le corps et le décor « cercueil vert » de moisissure, les « cheveux fortement pommadés » indiquent les habitudes cosmétiques d’une prostituée, qui rendent les cheveux gras. La « baignoire » est « vieille », le « col » est « gras et gris » (crasse ?). L’odeur est loin d’être sensuelle « le tout sent un goût /horrible », les couleurs ridicules « un peu rouge ». Les défauts physiques sont évoqués de façon métaphorique par des analogies grotesques : « des déficits assez mal ravaudés » : la métaphore de la couture (ravauder un vêtement=recoudre, rapiécer) évoque avec cruauté les rides ou les cicatrices d’une femme usée par le temps et la pauvreté. De même, « des singularités qu’il faut voir à la loupe » est une périphrase qui insinue sournoisement qu’en plus des défauts visibles, d’autres sont dissimulés. Le « suspens » crée par les points de suspension exprime une sorte de sadisme malsain de la part de ce narrateur-poète voyeur. Il y a un plaisir réel à décrire le laid et le sale, voire le « salace ». La grosseur du corps est aussi mise en valeur : « col gras et gris » (aspect répugnant mis en valeur par l’allitération en « gr », « larges omoplates », « rondeurs des reins », « graisse sous la peau », « large croupe ». La métaphore poétique du vers 8 est trompeuse car elle évoque en fait la cellulite disgracieuse « paraît en feuilles plates », usage grotesque de la métaphore !
Enfin, il y a une animalisation du corps à l’œuvre dans ce sonnet. Les métaphores animales sont nombreuses en effet, dans la désignation des parties du corps notamment : « bête »vers3 est un adjectif mais peut être lu comme syllepse, « l’échine » évoque un bovin, de même que la « large croupe » un cheval à monter puisqu’elle est tendue (« tend »vers13) : allusion sexuelle à la femme « enfourchée comme une monture ? D’autant que celle-ci est une prostituée ? On a en outre l’ impression que le corps est animé de façon autonome : atomisation des parties du corps évoquées successivement en gros plan (déjà développé plus haut) : un corps mécanique grotesque, pantin : « qui rentre et qui ressort » et « tout ce corps remue » de façon incontrôlée dirait-on, dans un danse gotesque.

2) Le rythme du vers et les jeux de sonorités soulignent la monstruosité comique du corps
Les rejets et les enjambements soulignent la bestialité et l’aspect repoussant de cette femme. On a déjà souligné le comique et la surprise du contre-rejet du vers 1 avec l’apparition de la « tête » en fin de vers, ainsi que l’effet de chute du rejet « qui saillent » au vers 6. L’enjambement des vers 9-10 permet de mettre en valeur l’étrangeté syntaxique et la synesthésie « sent un goût//horrible étrangement » que l’on commentera plus loin. Le rejet « des singularités » ménage une curiosité du lecteur et un suspens. Enfin, le contre-rejet de « Clara Venus » au vers 12 est un clin d’œil lisible à Botticelli et marque la volonté de pastiche ou de parodie. Mais ce sont les aussi les jeux de sonorités qui renforcent la dimension parodique et comique du poème : ainsi certaines rimes sont-elles d’un effet grotesque certain : « tête » et « bête »qui accentue l’animalisation ; « ressort »/ « essor » qui exprime un mouvement mécanique et ridicule ;la rime « loupe » et « croupe » évoque un gros plan bien peu alléchant ; on peut s’interroger sur la rime riche « omoplates » / « plates » : le second terme étant là pour la rime, plutôt que par nécessité de sens avec « feuilles » pour désigner la cellulite (d’où l’obscurité de cette métaphore, la cellulite en effet ayant un aspect de relief au contraire ?!). Enfin, il faut s’extasier devant la rime finale, ultime pied de nez à la poésie bourgeoise et à Botticelli avec l’association de « Venus » et « anus » !
Les allitérations jouent aussi leur rôle parodique : « col gras et gris » avec les « gr » qui soulignent « la graisse », tandis que le « r » revient tout le long de la strophe : « larges », « court », « rentre », « ressort », « rondeurs des reins », « prendre l’essor », « paraît ». On peut d’ailleurs poursuivre la démonstration sur les 2 tercets suivant, l’allitération en « r » se poursuit et exprime quelque chose de peu harmonieux, de grinçant, de rouillé…De même les assonances en « o » ou « ou » se multiplient ds ces 2 tercets « rouge, surtout, goût, croupe, venus, anus » et préparent l’effroi de la chute ou la dérision et le dégoût qui est celui du lecteur à la fin du poème « Houuu ! ».

3) Une poétique du laid ?
On a déjà souligné le plaisir de la transgression qui est celui du jeune Rimbaud en révolte contre l’ordre bourgeois qu’il s’agit de choquer. Il y a un vrai plaisir –et une certaine cruauté-à décrire le corps sale, laid, malmené par le temps et la misère. Rimbaud inaugure la poétique du laid qui fut celle de Lautréamont ou de « la charogne » d’un Baudelaire.
Il faut saluer les trouvailles lexicales de Rimbaud dans les alliances de mots oxymoriques :
Le vers 9, avec l’enjambement sur le vers 10 permet de mettre en valeur la trouvaille lexicale alliée à la synesthésie qui renforce l’aspect monstrueux, écœurant de cette vénus déchue : « le tout sent un goût//horrible étrangement » : sentir et goût ne vont pas ensemble même si on comprend l’idée : il s’agit d’une odeur si forte que l’on en a une sensation de goût. De même, la monstruosité syntaxique que constitue l’association d’un adjectif et d’un adverbe « horrible étrangement » reflètent la difficulté à dire cette monstruosité de la nature.
De même, « belle hideusement » au dernier vers, est un oxymore sur le plan syntaxique (adjectif plus adverbe) mais aussi sur le plan du sens : ce qui est beau n’est pas hideux. Et pourtant, si, on comprend ce que veut dire le poète : cette femme est tellement laide et grotesque qu’elle en devient une œuvre d’art repoussoir, certes, mais œuvre d’art quand même, comme le poème lui-même, qui de parodie choquante devient morceau d’anthologie… En ce sens, il y a bien une esthétique de la laideur comme il y en a une de la beauté. Et peut-être peut-on sentir, dans le ralentissement du rythme au dernier vers (la voix marque une pause spontanée après « belle », et après « hideusement » avant de découvrir le « final », une certaine tendresse, pitié, malgré tout, du poète pour sa Vénus des bas-fonds. ?
.
[Autocritique : le II,2) ne convient pas : il ne faut pas faire de sous-parties uniquement consacrée aux sons et aux remarques de versification, donc, les remarques sont à replacer au fur et à mesure de l’explication ds les sous-parties correspondantes.]

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